Extrait d’un concert en église au festival Xuntanza internacional de gaiteros en juin 2017.
Basile et Becky au Château d’Ars, festival Le Son Continu Juillet 2016, concours maîtres sonneurs et passage sur la grande scène.
Interview de Maxou Heintzen dans “Trad Mag” de novembre 2016 :
Deux ex-aequo en musette solo : pas question de les confondre, et le public a contesté lors de la proclamation des résultats. Peut-on comparer technique et musicalité avec burlesque assumé ? Nous avons échangé avec Maxence Camelin, et sa craba/bodega, dont la poche est Becky, une poupée gonflable !
« La craba/bodega est burlesque, dans l’apparence, dans l’apparat. Les bodegaires ornent leur cornemuse avec soin, mettent des franges, font des compétitions entre eux. Sollicités durant les mois du Carnaval, venant du bas de la caste sociale, ils étaient un peu rejetés. Bons vivants, très mal vus par l’Église, leur réputation était mauvaise. La bodega porte le burlesque, mais aussi une forme de tragique, car ceux-là sont morts malheureux. Les familles de bodegaires en avaient honte, ont brûlé les instruments, c’était une chose à taire. L’enquête sur la bodega a été très longue et fastidieuse. »
Du tragique, vraiment ?
« La bodega porte le sacré, venu de la mythologie grecque : la fonction dionysiaque du masque et du fou, cherchant une vérité profonde, révélant à travers le costume un peu plus lui-même, montrant sa part cachée. Ce fantasme existe chez l’individu, mais aussi dans le groupe. Le clown endosse un rôle, porte un inconscient collectif peu exprimé où l’on est dans l’interdit, dans le « pas convenable » en société. Je travaille depuis longtemps cela, acteur quand j’étais gamin avec Ariane Mnouchkine, j’ai tâté du jeu de scène. J’ai plusieurs personnages, Basile, je l’ai expérimenté en clown, sans me forcer, il vit tout seul. »
C’est ton double qui a joué au concours ?
« Basile est mon deuxième prénom, que je n’utilise jamais ; c’est une nouvelle carte à utiliser, un personnage expérimental… La poupée gonflable, on y a tous pensé, un moment donné il faut passer à l’action ! Personne ne l’ayant fait, je me suis dit je sais le faire, cela m’amusera beaucoup. C’est la 8e fois que je me présente au concours, en solo ou en formation, les trois quarts du temps avec cette démarche-là. »
« Éloignons tout malentendu, je ne suis pas misogyne, au contraire. Becky, la poupée gonflable, est d’abord une poche de cornemuse, le symbole fort d’un substitut sexuel universellement connu (existant aussi en version homme, que j’avais l’intention d’utiliser l’an prochain en cas de non premier prix). Les objets sexuels pour hommes et femmes existent depuis l’antiquité voire bien avant. Notre monde est phallocrate, dirigé par les hommes, par des dieux tuant leur mère avant de se proclamer dieux uniques, je le déplore. Ne confondons pas l’objet et le sujet. Toutes mes excuses si j’ai pu blesser ; j’assume pleinement mon action « poético-burlesque » qui tente d’éviter justement la vulgarité quotidienne. J’ajoute que ma vraie poche est une chèvre tuée pour l’occasion, ce dont personne ne s’offusque. »
Comment qualifierais-tu ta démarche ? Provocatrice ?
« Pas provocatrice, mais posant la question du sens : iconoclaste, j’essaye d’introduire de la relativité. Je ne juge pas, je constate. J’observe et je me laisse aller à des envies intuitives, comme un enfant. J’ai envie de me déguiser et de faire le mariolle, c’est assez viscéral. Que des gens très sérieux voient les choses autrement, c’est leur chemin, leur façon d’être. Que l’on n’empêche nul d’être ce qu’il est. Je suis pour l’authenticité et la variété. »
Mais tu sais être sérieux, parfois…
« J’ai eu l’occasion avec « Doulce Mémoire » par exemple, ce sont des chercheurs, pour de la musique pointue. Mon CD, ce n’est que de la recherche : le livret de 30 pages traite de répertoire, de style, d’ornementation, des anches sculptées que je fabrique moi-même… Je suis un peu Dr Jekyll and Mr Hyde. M’observant en scientifique solitaire, je me dis La boudègue, cela intéresse qui ? quels érudits ? Et les collectages que personne n’écoute ?… On se sent très seul. J’ai ce double regard sur moi-même, j’arrive à en rire, heureusement. Donc je caricature le scientifique, le psychorigide, le monomaniaque, le spécialiste es-testicules de rhinocéros (qui valent bien les anches sculptées de bodega, dans mon cas !). Le sérieux n’empêche pas la dérision. »
Ton aspect multiforme est celui des ménétriers, qui ne font pas que jouer. L’instrument est le prétexte qui permet de les voir…
« Oui, l’instrument est le prétexte. De l’office au Carnaval, on opère sur des mondes opposés. Le sacré réside aussi bien dans le Carnaval que dans le culte ; pour moi le sacré, c’est la fonction, dont dépendent l’intention, la posture. En concert, je fais dans le subtil, m’adressant à l’écoute, corporelle ou intellectuelle. Dans les bars, la rue, les maisons de retraite, les mariages, là c’est dans l’énergie que loge mon intention. Je reçois l’énergie des gens et je réagis comme un baromètre. Je suis dans la recherche, j’expérimente, c’est mon choix de vie. Je voudrais retrouver une fonction de la bodega un peu perdue : nous sommes des humains, nous avons besoin de sociabilité, de musique, de se retrouver autour d’une énergie… que ce soit une cornemuse ou un autre instrument, c’est juste le prétexte. »
Photos de Maxence
Photos de Tripoux